Henri WALLON (1812-1904), écrivain et homme politique, est originaire de Valenciennes. Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, il est agrégé d'Histoire et succède en 1846 à Guizot à la chaire d'Histoire Moderne à la Sorbonne. Il a 53 ans et 10 enfants en 1865 (l'aînée a 25 ans et la dernière 3 ans).

On est à l'époque du second Empire et Henri Wallon se tient alors en dehors de la vie politique. Il a démissionné de son mandat de député du Nord en 1850. Il sera élu député du Nord à l'Assemblée Constituante en 1871. Le 30 janvier 1875, il fera voter (à une voix de majorité) un amendement, dit amendement Wallon qui est à l'origine de la troisième République.

 

 

Les textes ci-dessous font partie d'une compilation de documents faite par Yvonne Rodary (son arrière petite-fille) en 1975.

 

Henri WALLON découvre les PETITES-DALLES

 

Juillet-août 1865

 

D'après les lettres écrites par lui à ses filles, Marie et Adèle (Mme Guibert) qui se trouvaient alors à Kermerien (Morbihan) propriété de la famille Guibert.

 

16 juillet 1865

Il se préoccupe d'un lieu de vacances. Victor Puiseux est parti chercher une maison de vacances à Gérardmer dans les Vosges. En trouvera-t-il une deuxième pour les Wallon ? Ce n'est pas sûr...et puis Henri Wallon trouve le voyage bien long... De plus, il voudrait retrouver sa belle-soeur; Mme Barbedienne qui habite Douai est veuve et a besoin d'appui. "Dans la prévision que nous ne trouvions rien à Gérardmer, votre Maman me parlait encore des Petites-Dalles, sur la côte de Normandie, ou de Fontainebleau, où nous aurions plus de chances de nous rencontrer avec votre Tante Barbedienne."

Il a entendu parler des Petites-Dalles par Mme Avignon qui s'y rendait avec sa fille Mme Gréard; ils étaient de trés grands amis de la famille Wallon à Douai. Ces dames habitaient peut-être à l'hôtel Bouillon.

(L'hôtel Bouillon, disparu depuis la fin du XIXe siècle, était situé devant l'actuel terrain de jeux et donc tout en haut de la plage. Voir le texte de Jean-Claude Michaux et les cartes qu'il nous a aimablement transmises).

 

Mercredi 2 août 1865

Je vous parlais, mes chères enfants, d'un petit voyage que je viens de faire (pour chercher un lieu de vacances).

Je suis parti le samedi matin de Paris pour Fécamp. J'ai visité cette ville et ses environs pour me rendre compte des agréments du séjour. La vallée est jolie, mais pour y arriver il y a une bien longue ligne de quai, sans ombre.

J'en suis reparti le lendemain pour Saint-Valéry-en-Caux, me proposant de visiter au passage les différentes vallées qui coupent cette longue ligne de falaises. Sur cet espace de 8 lieues, il n'y en a que 3 : Les Grandes-Dalles, Les Petites-Dalles et Veulettes. Je n'en compte pas une quatrième, Saint-Pierre-en-Port, qui n'a pas été moins rude que les autres à descendre et à gravir, mais qui est si étroite qu'il n'y a d'autre habitation que la cabane des douaniers, aussi le village est sur la hauteur. J'y ai trouvé une maison de paysan où l'on pourrait se loger avec le nombre de lits convenable pour 200F; mais pour aller à la mer, il faut descendre une falaise haute comme 1 fois 1/2 les tours de Notre-Dame, et la pente est si raide qu'on pourrait craindre qu'un enfant ne roulât du haut en bas.

Les Grandes-Dalles et les Petites-Dalles sont deux vallées paralléles, plus larges, et où les habitations sont échelonnées jusqu'au village de Sassetôt qui est à 3 km et où se trouve l'église. Les Grandes-Dalles n'ont que des maisons de paysan.

Aux Petites-Dalles, il y a quelques maisons bâties pour les baigneurs et entre autres celle où se trouvent Mme Grèard et Mme Avignon. C'est aussi dans cette maison uniquement que nous pourrions trouver à nous établir avec votre Tante Barbedienne si elle agrée cet arrangement: il y a, au premier étage, deux petits appartements semblables à celui qui est occupé par Mme Grèard et Mme Avignon; une grande chambre à coucher, une petite, une salle-à manger et une cuisine. Voici l'arrangement qu'il faudrait prendre : votre Tante Barbedienne avec Jeanne (fille) dans un grand lit de la première grande chambre, et toi Marie dans un petit lit. Dans la petite chambre voisine Jeanne (plus tard Petit) et Marguerite (Rabut). Puis dans l'autre petit appartement,dans la grande chambre, nous et dans la petite : Etienne et Frédéric (Barbedienne). Dans la salle à manger Valentine (plus tard Mme Deltombe) et Geneviève (Mme Rivière). Nous dinerions et on se tiendrait dans notre chambre. Il y aurait deux mansardes pour les domestiques. Tu vois qu'on pourrait s'y loger, mais bien juste.

On a la mer à sa porte, et même dans les grandes marées, on pourrait l'avoir chez soi. Il y avait, l'an dernier, un jardin que la mer a enlevé cet hiver.

Le plus grand inconvénient c'est l'éloignement de l'église; il y a aussi la difficulté des approvisionnements...

Nous aurions ce logement pour 450F dont les 2/3 pour nous et 1/3 pour votre Tante, pour faire à chacun sa juste part.

J'ai vu encore Veulettes, plage admirable, mais le village est un peu loin, et il n'y a vers la plage que des maisons particulières.

Saint-Valéry-en-Caux est une petite ville bien ramassée autour de son port et qui se prolonge dans la vallée. Les promenades y sont fort agréables, mais la plage accessible est commandée par le casino, et il en coûterait cher à passer à ce guichet pour tous les 8 ou 10. Au delà de St-Valéry, j'ai encore été visiter Veules qui est une jolie plage, une vallée de 1km arrosée par une petite rivière qui y prend sa source, fait tourner 2 moulins. On aurait pour 600F une maison contenant 9 lits. Devant la maison, un trés beau jardin coupé par la petite rivière, et à quelques pas aussi, devant la maison, la plage. Il y a là plus de ressources qu'aux Petites-Dalles, mais les promenades y sont beaucoup moins variées ; tout à l'entour, ce sont de hautes terres avec leurs belles récoltes, chose plus avantageuse au paysan qu'au baigneur.

Je crois donc que l'on doit plutôt incliner vers les Petites-Dalles. J'en ai écrit à votre Tante, mais...elle aimera peut-être mieux aller à Ault, si on y trouve quelque chose, et nous l'y suivrons.

Mais je doute que le pays soit aussi beau là, qu'aux Petites-Dalles.

(finalement, la famille Wallon passera l'été 1865 à Ault).

 

 

Collection Dastarac (André Dastarac avait épousé Marguerite Deltombe, petite-fille d'Henri Wallon) - Extrait d'une lettre du samedi 8 août 1868 de Madame Henri Wallon.

 

Mes chères amies,

Nous avons enfin décidé et arrêté quelque chose pour les bains de mer, mais ce n'est ni à Arromanches où nous avions surtout envie d'aller ni même à Bougival (ou Breuzeval) mais aux Petites-Dalles où nous ne pensions pas du tout. Voici comment cela s'est fait : Il y a cette année grande affluence à tous les bains de mer et en particulier à Arromanches qui devient à la mode. Nous aurions trouvé difficilement à nous loger...

Dans ces conjonctures votre père rencontre derniérement Mr Deltombe qui lui dit qu'il va dans deux ou trois jours rejoindre sa femme aux Petites-Dalles et votre père de lui dire, si vous y trouviez quelque logement à notre convenance veuillez nous l'écrire. Quelques jours après nous recevons l'avis qu'un chalet qui paraît réunir toutes les conditions que nous désirons se trouve encore à louer, qu'on le laisse à un prix raisonnable, mais qu'il faut se décider sur-le-champ parceque plusieurs personnes le demandent. Nous avons un peu hésité, puis nous avons fini par nous décider nous disant qu'il ne faut pas perdre une occasion rare lorsqu'on n'est pas certain de trouver autre chose; nous avons écrit et le surlendemain nous apprenions que c'était marché conclu. Je crois que nous ne le regretterons pas; le pays est joli, le chalet est sur la mer dit-on et l'on y jouit de la plus grande liberté.

Quant à l'époque du départ voici ce que nous avons décidé pour le moment. Le chalet est occupé et ne sera libre que le 17, je partirai ce jour la même avec les enfants qui en ont tous trois bien besoin, fatigués qu'ils sont, comme tout le monde du reste, de ces chaleurs si continues, et une domestique, laissant l'autre à Paris jusqu'au départ de votre père qui ne sera libre que le 28. J'avais d'abord pensé vous attendre puisque du 17 au 20 il n'y a pas loin, mais nous avons pensé que vous ne seriez sans doute pas fachées de rester quelques jours à Paris pour vous reposer, faire vos petites commissions etc et surtout tenir compagnie à votre père que vous êtes privées de voir depuis longtemps et qui lui-même s'ennuiera bien moins vous ayant auprès de lui. Cet arrangement vous plait-il? Car si vous l'aimiez mieux, je vous attendrais bien volontiers.

...Vous n'aurez pas peur de gâter vos robes (neuves) aux Petites-Dalles. Je crois que vous ne les mettrez que les grands jours, car il paraît qu'on y est simple dans toute l'acception du mot...

...Dés le lendemain du départ de votre grand-maman (mère d'Henri Wallon) nous avons eu de ses nouvelles. Elle a trés bien supporté le voyage et a trouvé à la gare toute la famille réunie pour la recevoir avec même mon oncle Henri qui n'est pas sorti depuis un an et qui s'y était fait conduire en voiture. Ecrivez lui le plus que vous pourrez si bien qu'elle soit entourée. Vous savez que ses enfants et petits enfants ne sont pour elle remplacés par personne. Paul est parti jeudi. Nous dinons demain à Chatou en famille...

Adieu mes chers enfants, et toi en particulier ma chère Adèle, Aristide te chargera de mes embrassements pour tous. Je le fais en attendant de tout mon coeur. Mille caresses aux chers petits, amitiés à Céline et à Mlle Julie.

Votre toute dévouée Pauline Wallon.

 

 

Au moment de quitter les Petites-Dalles, le 17 septembre 1870 Valentine Wallon (plus tard Mme Deltombe) écrit à son père Henri Wallon (collection Dastarac) :

 

17 septembre 1870

Mon cher Père,

Ta lettre de ce matin nous prescrivant un prompt départ nous a bouleversé tous; nous étions si contentes Jeanne et moi de la liberté que tu nous laissais de ne pas suivre la famille Cronier en Angleterre; si tu l'avais exigé, nous l'aurions fait, mais bien à contre coeur, je t'assure. Maintenant tu parais désirer me voir partir tout de suite pour le nord; je comprends en effet que s'il faut partir, il n'y a pas de temps à perdre, les communications peuvent être coupées d'un moment à l'autre, et alors notre dernière ressource nous échapperait; mais vraiment quand on voit ce petit endroit où nous sommes, si tranquille et si retiré, quand tous les jours il y arrive des étrangers, il ne vient pas à l'esprit qu'on puisse y courir aucun danger. Néanmoins nous nous rendons à ton désir mon cher Père, et si promptement que nous serons partis quand cette lettre t'arrivera.

Grand'Maman a accepté avec un certain empressement cette proposition, elle est déjà en train de faire ses malles; malgrè notre peine de quitter les Petites Dalles où nous étions si bien avec la famille Cronier, pour Grand'Maman surtout nous comprenons la nécessité de quitter le bord de la mer; elle serait la première à souffrir du froid, surtout si le siége de Paris dure longtemps, et ici cette maison n'est guère propre à nous en préserver. Maman te dit peut-être en ce moment que Mme Cronier pour notre prompt départ est un peu de ton avis; nous une fois partis, je crois qu'elle ne tardera pas à partir pour l'Angleterre, et Mme Derbaune qui ne veut pas y aller, et qui, nous l'avons bien deviné, par affection pour nous serait restée aux Petites-Dalles tant que nous y aurions été, partira alors pour Rouen. La famille Deltour ne sait encore rien de nos projets, mais elle sera bien étonnée quand elle les connaîtra.

Ma 21ème année s'est accomplie au milieu d'événements bien tristes; je la redoutais tant, et j'avais bien raison. Quand te reverrons nous, mon cher Père; tu nous manques bien à tous; à toutes les tristesses que chacun a pour notre malheureux pays, viennent s'ajouter pour nous les anxiétés que toi et Paul nous donnez; tu ne nous en parles pas cette fois, aurait eu de la peine à le voir? Nous lui avons écrit tous il y a deux jours; Mme Derbaune qui se trouvait avec nous a voulu aussi y ajouter quelques lignes. Ménage toi mon cher Père; ne t'expose pas, souviens toi que tu as neuf enfants qui ont besoin de t'entourer longtemps d'affection; notre bonne Mère du haut du Ciel que nous prions avec tant de coeur protégera notre père, notre frère, et nous nous retrouverons bientôt tous.

Mais que la séparation en attendant est pénible et qu'elle nous paraît longue. Jeanne écrit en ce moment à ma tante Barbedienne pour lui annoncer notre arrivée; maman pense avec nous qu'il vaut mieux que Jeanne et moi restions à Douai pour ne pas donner à la famille de Valenciennes tant d'embarras. Jeanne et moi préférons cela du reste. Le voyage que nous allons faire va peut-être par tous ces détours être bien long et pour Grand Maman nous voudrions déjà être au bout.

Je t'embrasse mon cher Père du fond de mon coeur en te demandant au nom de tous ta bénédiction.

Ta fille affectueuse Valentine.

 

 

Ainsi donc la famille Wallon revient aux Petites Dalles, aprés la première visite faite en août 1865 par Henri Wallon. Le premier séjour aura lieu en août 1868, ainsi qu'on peut le voir dans les lettres précédentes. Dans quelle maison logeait-on? Est-ce dans ce même hôtel Bouillon "entouré par la mer aux grandes marées", ou dans la maison du Père Lenne (actuelle villa Rambaud: "La Plage") qui avait été occupée les étés précédents par la famille Crosnier de Rouen. La famille Crosnier a fait construire "Le Châlet" dés 1867. Les deux familles deviennent très amies, et les jeunes Wallon sont souvent invitées au Châlet.

Le 14 septembre 1869, le mari d'Adèle Wallon, Aristide Guibert, vient faire connaissance des Petites Dalles, par une tempête épouvantable: le toit de la gare de Fécamp avait été arraché, et le trajet en voiture était assez dangereux!

 

Mais que savons nous de la région des Petites Dalles avant l'arrivée de la famille?

Cette région fut éprouvée en 1755, en 1757 et 1772 par des secousses de tremblements de terre qui causèrent de grands dégâts en Espagne Portugal, mais ne furent pas graves dans le pays de Caux. La vraie catastrophe fut causée par une terrible tempête la veille de la Saint Jean Baptiste le 23 juin 1755: la mer rompit la digue qui protégeait le petit port de Durdent et la bourgade fut ensevelie à jamais sous les galets. C'était le port de Veulettes. Les Dalles, Saint Pierre en Port et Bruneval ont particuliérement souffert: quatorze barques furent englouties aux Petites Dalles, Saint Pierre en Port dut être reconstruit sur la falaise, le nombre des veuves et des orphelins ne se compta plus.

D'aprés:

 

Est-ce à cette époque que les falaises et la plage reculèrent ? On parle d'un café qui aurait existé sur les Câtelets ? de maisons construites à l'endroit qui est aujourd'hui le bas de la plage au début du sable mouillé ? Il y avait des restes de maçonneries à ces deux endroits. La question reste à élucider ...avis aux chercheurs !

En tous cas, en 1869 les Petites Dalles ne sont pas trés habitées:

(cliquez sur l'image pour avoir la photo en plus grand)

 

La famille d'Henri WALLON en 1870

 

Henri Wallon avait encore sa mère, Madame veuve Alexandre Wallon, dite Féfé (Fébronie CAFFIAUX) 89 ans. Il ne semble pas qu'elle soit venue aux Petites-Dalles; elle passait plutôt ses vacances dans le Nord, dans sa famille.

Sa soeur, Madame veuve JANET, née Sophie Wallon, 59 ans, qui avait perdu sa fille, Mme Victor PUISEUX, et avait des petits enfants:

Lui-même Henri Wallon était membre de l'Instut, Professeur à la Faculté des Lettres, ancien député, 58 ans.

Sa femme, 50 ans, née Pauline BOULAN, qui était sa deuxième femme. Il l'avait épousé en 1852; elle mourra en 1874.

Ses enfants :

1° mariage avec Hortense DUPIRE, de Douai, 1814-1851 :

2° mariage avec Pauline BOULAN, de Valenciennes, qui a alors 50 ans:

Henri Wallon loue pendant plusieurs années (1871-1874) diverses maisons des Petites-Dalles. Madame Guibert a habité les Sumacs, prés de la maison Ledun. Une année ils sont reçus au "Châlet" chez leurs amis Crônier: en 1872 le jeune ménage de Jeanne Wallon-Petit, Henri Wallon et les plus jeunes; en 1873 Henri Wallon.

En 1875 et 1876, on habite la maison Saillot (aujourd'hui Brise Lames) dont le propriétaire se réservait sans doute le rez-de-chaussée sur la mer.

Le 28 septembre 1876 Henri Wallon achète la propriété Saillot, car la famille a besoin de place: en 1876 il y avait 23 enfants et petits-enfants. Par derrière, côté campagne se trouvait une petite chaumière qui sera habité en 1877, 78, 79, 80, et 81 par Adèle Guibert et ses enfants. Henri Wallon fait construire, à la place de cette chaumière, par son fils Paul Wallon, architecte, en employant Monsieur FIQUET entrepreneur, la maison qu'il destine à sa fille Adèle Guibert, restée veuve en 1873 avec 7 enfants. La maison est commandée le 4 février 1881, elle doit être livrée le 15 juillet 1881; en cas de retard Fiquet paiera à monsieur Wallon 20 Francs par jour de retard. Cette maison s'appellera plus tard L'Epine.