Les côtes de la France de Dunkerque au Havre par la plage

par Mme S. de Lalaing

ouvrage qui date de 1886-1890

Texte signalé par Sébastien Périaux



« Le hameau des Petites Dalles, petit havre de pêcheurs dépendant de la commune de Saint-Martin aux Buneaux, est parfaitement situé dans un vallon boisé, resserré entre deux falaises. Sa plage est abritée du côté de la haute mer par une digue de rochers  qui atténue la violence des vagues ; le peu de largeur de la vallée la protège contre l'irruption des vents. C'est à cette position remarquablement avantageuse que ce pays doit la vogue dont il jouit depuis quelques années auprès des baigneurs.

« Nous avions tant entendu vanter les promenades des Petites Dalles, que nous voulûmes juger par nous-mêmes si elles méritaient leur réputation. Dans l'après-midi nous allâmes au château de Martanville; il était habité, nous ne pûmes donc le visiter. Mais j'avoue qu'il est impossible de parcourir un plus joli pays que celui que nous traversâmes pour nous y rendre, et qu'en revenant aux Petites Dalles, je fus très frappée de l'effet que produit ce hameau, lorsqu'on y arrive par la route de Fécamp. Ce ne sont que maisons blanches, proprettes, et charmantes ; chalets rustiques aux volets verts, aux jardinets fleuris, couverts de clématites et de rosiers grimpants, maisons et chalets à demi enfouis sous la verdure. Les arbres, souvent si rares au bord de la mer, semblent pousser à plaisir dans ce ravissant vallon. A mesure qu'on approche de la plage, les maisons, d'abord un peu éloignées les unes des autres, se rapprochent et forment une sorte de rue, en même temps elles deviennent plus élégantes. C'est de ce côté que s'élèvent les nouvelles constructions. Enfin tout près de la mer se voient quelques luxueux chalets, les uns achevés, les autres encore en voie de construction, mais tous entourés de beaux jardins, pleins d'ombre et de fraîcheur.

« Ce qu'on pourrait peut être reprocher à ce paysage, serait de ressembler un peu à un décor d'opéra-comique; mais en tout cas, le décor est réussi; il plait à l'oeil et réjouit l'esprit.

« Le lendemain, contre notre habitude, nous dormîmes la grasse matinée ; nous nous étions beaucoup fatigués les jours précédents et étions décidés à nous reposer un peu. Nous n'avions pas d'ailleurs, nous le pensions du moins, une bien longue étape à fournir, pour nous rendre à Fécamp où nous devions dîner et coucher.

« Nous quittâmes les Petites-Dalles à une heure de l'après-midi. Un chemin nouvellement tracé, je crois, et en tout cas très raide et fort difficile, que nous prîmes à gauche de la grande rue, nous conduisit en haut de la falaise qui sépare les Petites-Dalles d'un autre hameau, situé dans une vallée parallèle, et qu’on appelle je ne sais pourquoi les Grandes-Dalles. C'est vers ce hameau que nous dirigions pour l'instant nos pas. On nous avait assuré que nous y serions en moins d'une demi-heure. Il parait que les Normands de cette côte sont de fameux marcheurs, car nous marchions depuis une heure sous un soleil de plomb, quand nous aperçûmes les Grandes-Dalles au-dessous de nous, dans un fonds où nous ne pouvions atteindre qu'en descendant à travers champs, tâche fort difficile, car la pente est rapide, le sol inégal et caillouteux, et la commune a négligé de faire tracer un chemin, indispensable pourtant, non pour les rares voyageurs qui n'en profiteraient guère, mais pour tous ceux des habitants qui ont des terres sur la falaise. Enfin, avec beaucoup de peine, nous arrivâmes, exténués de fatigue, au bas de la côte, dans une ruelle qui nous conduisit au village.

« La chaleur et la marche nous avaient altérés; nous cherchâmes un hôtel ou tout au moins quelque café, où il nous fut possible de nous arrêter. Mais ces sortes d'établissements sont inconnus aux Grandes Dalles. Ayant aperçu de la rue une espèce de kiosque en chaume, sous lequel étaient une table boiteuse, et quelques vieilles chaises de paille communes, nous eûmes l'idée de nous informer si, par hasard, nous ne pourrions nous procurer là une bouteille de bière.

- Certainement nous répondit la femme à laquelle nous nous étions adressés ; on va vous servir.

« Elle s'éloigna et revint bientôt, apportant une bouteille de bière qu'elle déposa sur la table, ainsi qu'un paquet de biscuits. La bière était exécrable, et je ne sais depuis combien de temps les biscuits étaient chez elle, mais il n'y avait qu'à y toucher pour les réduire en poussière.


« Rentrés aux Petites-Dalles vers six heures, nous dinâmes et passâmes notre soirée sur la plage. Il y avait concert ce soir-là à l'Hôtel des Bains, qui sert de casino. Mais après avoir marché comme nous l'avions fait ce jour-là, nous eussions craint, en y assistant, de scandaliser les habitués en ne pouvant résister à un sommeil intempestif.
Etendus sur le sable, nous goutâmes pendant une heure le plaisir de respirer à pleins poumons un air pur et vivifiant ; puis nous rentrâmes nous coucher, et nous n'eûmes point de peine à nous endormir, quoique le bruit des instruments arrivât jusqu'à nous, mêlé à celui de la mer assez forte ce soir-là. »




Note de Sébastien Périaux :

- cela parait trop long « plus d'une heure » pour rejoindre les Grandes Dalles. Ces dames auront dû se perdre et faire un détour.

- remarquez le savoureux « hameau qui s'appelle je ne sais pourquoi les Grandes Dalles ». On y voit tout le dédain d'une dame vexée par le tour qu'ont pris ses aventures. Il est situé dans un « fonds », et non dans une vallée, c'est pour elle clairement un lieu reculé loin de la civilisation. Ainsi que la « ruelle », qui laisse imaginer de pauvres masures, et « la table boiteuse et des chaises de paille commune » qui sont pour elle du même acabit. Les Grandes Dalles, c'est la misère. Quant à la bière exécrable et les biscuits rassis, c'est le fonds du calice qu'elle a dû boire.
En bref, n'allez surtout pas aux Grandes Dalles, à en croire cette honorable dame, c'est un trou misérable.