Les Petites-Dalles

 Port d'échouage

Par Jean-Claude Michaux

Le texte qui suit a été publié dans la plaquette éditée par le Syndicat d'Initiative des Petites-Dalles de 2004.

Depuis sa préparation, en plus des tableaux cités ci-dessous, plusieurs autres photographies et peintures du XIXe ont été reproduites sur le site les-petites-dalles.org. Ces nouveaux documents confirment les observations faites à partir de ceux visés dans le texte.

Les documents connus à ce jour seront utilisés  pour illustrer cet article.

                                                                         

La pêche a vraisemblablement été pratiquée très tôt aux Petites-Dalles.

Les premières traces attestées d'occupation des Petites-Dalles remontent à la période celte puis gallo-romaine. Quelques poteries de ces époques ont été trouvées lors des fouilles réalisées, par l'abbé Cochet, en 1864 (1).

Ces mêmes fouilles ont permis d'attribuer aux Francs (VIe-VIIIe siècle), les tombes d'un cimetière de 10 mètres sur 60 mètres. Toutes les tombes étaient orientées dans le sens de la vallée, avec les pieds au sud-est et les têtes au nord-ouest, c'est à dire du côté de la mer.

L'abbé Cochet fournit pour la localisation de cette nécropole les indices suivants :

Le corps de garde des douaniers, figure sur le plan ci-contre de la plage après les tempêtes de 1863 et 1868.

Ce cimetière mérovingien devait donc être situé entre 1es deux escaliers actuels, en partie sur le parking, le trottoir et le haut de la plage.

(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

Les objets trouvés dans ces tombes : éperons, scramasaxes (épée courte à un seul tranchant), couteaux, vaisselle..., ne présentent pas de lien direct avec la pêche. Ils prouvent une occupation par les conquérants germains mais ne permettent ni de confirmer, ni d'infirmer une activité de pêche.

II faut attendre le XIe siècle pour trouver la première mention indirecte de la vocation portuaire de cette vallée. Par une charte de 1025, le Duc de Normandie, Richard II, confirme la donation à l'abbaye de Fécamp, de la Seigneurie côtière et des droits de mer sur 45 kilomètres de la côte cauchoise depuis un point sis à l'Ouest d'Yport, jusqu'à un point situé à mi-chemin entre Saint-Valery-en-Caux et Dieppe :

Portis maris de stigas usque ad leregant (2),

soit du port d'Etigues (hameau de la Haye d'Etigue, commune des Loges et de Vattetot-sur-Mer) jusqu'à Liergan (valleuse de Mesnil Argant (3), commune de Saint-Aubin-sur-Mer).

Cette donation a été confirmée en 1144-1151 par Geoffroy Plantagenet (4).

Les Petites-Dalles ne sont pas citées explicitement, mais font partie des ports dont les droits sont cédés puisque situés entre ces deux limites.

Le terme de port utilisé dans ces documents avait un sens essentiellement juridique et correspondait à une localité susceptible d'accueillir des navires. II se différenciait du «hable» dans lequel des bateaux pouvaient pénétrer et s'abriter en pleine eau. Les ports visés par ces chartes sont des ports d'échouage. Ce n'est que plus tard que quelques-uns deviendront des ports en pleine eau. Le terme de port est encore conservé, dans le sens de port d'échouage, dans les dernières cartes de l'Institut Géographique National, (I.G.N.) au 1/25.OOOe, au pied des valleuses du Val de Saint-Martin-aux-Buneaux et de Yaume.

L'abbaye de Fécamp percevait divers produits sur la pêche :

Les droits de l'abbaye ont évolué au cours des siècles.

La carte I.G.N. au 1/25000e, au droit du Casino, représente un haut fond conservant le nom de «la dent».

Pour les Petites-Dalles, le litige prend fin par une charte de 1240 (8). L'abbé Cochet rapporte la charte confirmative de 1252, de la façon suivante :

Henri Mauconduit (Henricus Malconductus) Chevalier Vicomte de Blosseville, Chatelain de Sassetot, Criquetot et autres lieux... abandonne, pour une somme de cent livres, le droit qu'il prétendait avoir d'acheter, au port de Saint Valery, des harengs, des maquereaux ou toute espèce de poissons. Il reconnaît qu'il devra désormais être traité comme un étranger quelconque. Il déclare aussi renoncer aux mêmes droits... sur les autres ports soumis à l'abbé de Fécamp, tels que Veulettes, les Dalles et les Dallettes... « Quant aux Dalles et aux Dallettes, ajoute-t-il, je reconnais volontiers que je ne puis y exercer aucun droit de pêche » ?

In In portu sive habulo suo de Sancto-Valerico nullum jus haheo emendi vel petendi allectia, makerellos aut aliquos alios pisces , nisi tanquam aliquis extraneus ; nec etiam in alüs portuhus suis de Weleti.s, de Dalis et de Daletis. Apud Dalos et Daletos nullam aquaticam habere po.s.sum.

(A propos de "Dalis" et "Daletis", voir l'article de Sébastien Périaux.)

Plusieurs siècles plus tard, dans un mémoire de la marine de 1728, François Sicard (9), dans la partie consacrée à la pêche dans l'Amirauté de Saint-Valery-en-Caux, nous donne des indications chiffrées précises sur les flottilles des ports compris dans cette amirauté qui commençait à Avremesnil pour se terminer au fond des Grandes-Dalles. En dehors de Saint-Valery, il n'y avait des barques de pêche que dans trois ports d'échouage : Veulettes, les Grandes et Petites-Dalles. Pour Veules, il précise :

Il y avait un petit port que la mer a détruit, ce qui est cause qu'il n'y a plus de bateaux... .

Les maîtres ou pêcheurs pouvaient s'embarquer, avec leurs filets, à Dieppe, Saint-Valery ou Fécamp ou travailler sur place. La pêche locale mobilisait les moyens suivants :

François Sicard fait mention de tempêtes qui ont entraîné la perte d'un grand nombre de filets de pêche (bretelières) et de l'abandon de ce type de pêche par les bateaux, à l'exception du plus grand. Les bertelles ou bretelières étaient des filets, à maille unique, destinés à prendre les roussettes".

L'équipage de bateaux de 6 tonneaux devait être comparable à celui des caïques d'Yport, aux XIXe et XXe siècles, qui comprenait six hommes, le patron et un mousse. Le nombre de pêcheurs pour la seule flotte des Petites-Dalles devait donc atteindre 70 à 80 personnes. Au total, en ajoutant les pêcheurs embarqués dans les ports voisins et les 17 pêcheurs à pied, leur nombre devait approcher la centaine. Pour accompagner l'activité de ces pêcheurs, il fallait nécessairement quelques artisans, transformateurs, transporteurs... Compte tenu des femmes et des enfants, la population permanente totale devait donc atteindre plusieurs centaines d'habitants.

Pour les années 1735 et 1751, l'abbé Cochet donne des chiffres comparables à ceux du rapport Sicard de 1728. Il précise, en outre, qu'il y avait 7 cabestans aux Grandes-Dalles.

Lors d'une tempête du XVIIIe siècle, quatorze bateaux des Dalles et leurs équipages ont disparu. Cette perte représentait plus des trois quarts des flottes des Grandes-Dalles et Petites-Dalles. Cette tempête nous est rapportée à des dates différentes, 1753 pour certains et 1755 pour d'autres.

En 1795, S. Noël de la Morinière (12), dans le premier essai sur le département de la Seine-Inférieure, ne fait pas mention de cette tempête, il mentionne seulement :

La seule occupation des habitants est la pêche ; le merlan, surtout, qui en provient, est assez estimé, pour que dans le commerce de poisson on le désigne par le nom de « Merlan des dales ».

 

Reproductions adressées

par Emmanuel Gorge.
(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

 

En 1842, A Guilmeth (13) reprend l'expression « Merlan des Dalles » et ajoute « il est généralement plus recherché que celui des autres ports ». Par contre, et de façon totalement contradictoire, il précise que de nombreuses vallées du littoral, dont les Petites-Dalles, sont désertes et qu'il n'y a pas le moindre esquif. II rapporte qu'au XVIIIe, une veille de la Saint-Jean, au cours d'une tempête, Veulettes, la Durdent, Saint-Pierre (en Port), les Dalles et Bruneval perdirent toute leur marine.

A ce sujet, dans la notice sur les fouilles opérées en juin 1864 dans le vallon des Petites-Dalles, l'abbé Cochet rapporte les faits suivants :

une tradition locale soutient que le terrible coup de vent de l'année 1753 fit périr, corps et biens, quatorze bateaux des Dalles. On ajoute que la marine de ces vallées ne s'est pas relevée de cette catastrophe qui dépeupla le pays (14).

L'abbé Tougard (15) dans la géographie de la Seine-inférieure cite pour les hameaux le nombre d'habitants recensés en 1866. Pour les Petites-Dalles, 219 sont recensés côté Saint-Martin-aux-Buneaux et 110 sur Sassetot-le-Mauconduit, soit un total de 329 habitants. Ces chiffres confirment l'importance que devait avoir la population au XVIIIe siècle avant la destruction de la flottille de pêche.

Au XIXe et au XXe siècles, les pêcheurs professionnels étaient pour la plus part enrôlés dans les ports voisins pour la pêche sur les bancs de Terre-Neuve.

Les premières représentations de la plage des Petites-Dalles que nous connaissions (16) :

ne font apparaître qu'un maximum de trois barques aux Petites-Dalles, dont une est vraisemblablement le canot de surveillance des bains. Ce qui semblerait confirmer la tradition selon laquelle la flotte des Dalles n'a jamais été reconstituée.

Eugène Delacroix (1849)

Paul Wallon (1869)

Paul Wallon (1869)

Coulon (1869)

Photo (1875)

Charles Rey (1875)

Valantin (1876)

Photo (1880)
(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

La barque, avec deux mats, figurant sur le tableau de Paul Valantin de 1876, ne semble pas très importante comparée aux bateaux de 5, 6 et même 20 tonneaux cités dans le rapport Sicard. Sa forme fait penser aux caïques d'Yport et d'Etretat. Le terme de caïque n'est pas utilisé dans le rapport Sicard au XVIIIe. Ce nom s'est vraisemblablement répandu, sur le littoral cauchois, au début du XIXe siècle, à la suite de la préparation de la flotte, dans le Boulonnais, pour envahir l'Angleterre.

Le doris a été adopté sur notre littoral, au XXe siècle. Originaire de Terre-Neuve, le doris à fond plat est moins large que les barques utilisées pendant plusieurs siècles.

(cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Actuellement, sur notre côte, quelques doris sont encore utilisés. S'ils ne sont plus pointus que d'un côté, c'est pour permettre de fixer un moteur hors-bord. Pour certains d'entre eux le métal s'est substitué au bois.

Aux Petites-Dalles, les barques en bois et les pêcheurs professionnels ont disparu.

 

 Jean-Claude Michaux

 

Références bibliographiques :