Les villas balnéaires des Petites Dalles

par Patrick Lebourgeois et Pierre Wallon

La Chapelle - Mercredi 25 juillet 2007 à 18h

Première partie

Du village de pêcheurs au village de vacances

 

Pierre WALLON

 


 

En 1850, le hameau des Petites-Dalles est un petit village de pêcheur qui a eu son heure de gloire aux XVIe et XVIIe siècles ; à cette époque le "merlan des Dalles" était célèbre comme le note en 1795 S.B.J. Noel dans son ouvrage, Premier essai sur le département de la Seine-Inférieure.

En 1753 ou 55, un cataclysme ravage la côte normande. Le 23 juin, jour de la Saint-Jean, une terrible tempête raye de la carte le port de Claquedent et le village de Durdent, à l'embouchure de ce petit fleuve. Dans son livre, Contes et légendes des falaises normandes, Frère Oudinet signale la disparition de 14 barques de pêche et de plusieurs pêcheurs aux Petites-Dalles. S'agit-il d'une tempête particulièrement violente ou d'un raz de marée en rapport avec un tremblement de terre au large ? Vers cette même époque, le tremblement de terre qui détruit Lisbonne, le 1er novembre 1755, est ressenti en Normandie et jusqu'en Ecosse, mais sans faire de dégâts.

 

Les raisons du développement des Petites-Dalles comme station balnéaire sont nombreuses.

Les premières maisons de vacanciers sont construites à partir de 1860. Elles sont tout le contraire des maisons du pays. Celles-ci sont essentiellement des chaumières basses, sans étage, tournant le dos à la mer, aux ouvertures étroites, couvertes de chaume ; celles-là sont des maisons à étages, face à la mer, ouvrant par de larges baies, couvertes en ardoises que le chemin de fer permet d'acheminer facilement. Elles peuvent paraître arrogantes face aux maisons du pays, mais il faut surtout faire agréable à vivre, en ne négligeant pas de montrer son aisance financière tout en gardant généralement une certaine sagesse de bon aloi. On parle de chalets, suivis du nom du propriétaire. Ce n'est que plus tard que viendra l'habitude de donner un nom à sa villa. Le style est dit anglo-normand, avec notamment le bow-window. La mode est à l'éclectisme dans la décoration extérieure. On pioche des éléments architecturaux dans toutes les époques, mais en utilisant les matériaux traditionnels du pays, le silex et la brique. La main-d'oeuvre est abondante, compétente et les chantiers vont vite.

En quelques années, autour de 1880, sont construites pour l'usage de leur propriétaire la plupart des grosses villas que nous connaissons actuellement :

En 1861, la villa les Tamaris construite pour Sylvie Boubet, femme originale et généreuse qui crée une école pour les enfants du pays : l'Asile. Sa villa, située devant l'actuelle villa les Catelets, sera détruite par les Allemands en même temps que la villa les Capucines pour en faire un obstacle antichar.

A gauche, une partie de la villa les Tamaris
En 1867 sont construites les premières véritables villas : le chalet Crosnier (chalet Renard, puis chalet Verron et actuellement le Chalet) et la villa Elisabeth.

Le chalet Crosnier après la tempête de1868

Première photographie des Petites Dalles prise en 1869
De 1869 date la première photographie que l'on possède des Petites-Dalles. On y voit 3 types de maisons : des longères traditionnelles, dos à la mer, des maisons de patron de barque de pêche à étages comme la propriété Saillot qui deviendra la villa Brise-lame et ces trois premières villas de vacanciers.

Une peinture de cette même année par un certain Coulon montre un chemin descendant de l'actuelle sente des douaniers à la plage. C'est, semble-t-il, l'unique accès à la plage à cette époque comme le rapporte Ernest Daudet, frère aîné d'Alphonse Daudet, au début de son roman Robert Darnétal.

...Il y a cinquante-quatre ans, quand je vins au monde, les Petites-Dalles étaient un pauvre hameau ignoré, perdu dans un repli de falaise, aux bords de l'Océan, entre Fécamp et Saint-Valery. C'est aujourd'hui une jolie station de bains, avec des hôtels et des villas, où, tous les ans, quelques centaines de Parisiens vont se reposer en été, dans la fraîche verdure des prairies et des bois qui descendent vers le rivage, tout saturés des odeurs de la mer....

Notre maison, construite en galet, couverte en chaume, était située sur une terrasse peu élevée et dominait la plage. Suivant une vieille coutume des côtes normandes, dictée par la nécessité de se préserver des tempêtes hivernales, et que les Parisiens qui ne viennent s'installer chez nous que pendant la belle saison sont seuls à ne pas observer, aucune de ses croisées ne s'ouvrait du côté de la mer....

A cette époque, la route qui conduit aujourd'hui à la plage entre les haies d'aubépine, était obstruée à son extrémité par un monticule chargé de broussailles, et coupé à pic, comme un mur, du côté de l'eau. On n'arrivait au galet qu'en passant par notre terrasse, au moyen d'un escalier, dont les marches avaient été taillées dans le rocher par un ouvrier de la contrée. Les habitants de la commune avaient droit à ce passage. C'était durant tout le jour un long va-et-vient de population qui donnait à cet endroit la physionomie d'une place publique....

 
Deux aquarelles de Paul Wallon de la même année nous montrent l'aspect de la plage en 1869.

A droite, les Sorbiers

Les Lierres et les Hirondelles
En 1870, construction de la villa les Sorbiers qu'occupe Gustave Eiffel et en 1874 les villas les Hirondelles et les Lierres.

Une photographie, ou plus probablement un dessin fait à partir d'une photographie, nous montre sur la plage ce qu'il reste probablement de l'hôtel Bouillon détruit par une tempête en 1868.

Sur le tableau de Valantin qui date de 1876, on voit parfaitement l'à-pic en haut de la plage qui justifie son accès décrit par Ernest Daudet et l'absence de galets qui expliquent que l'on parle alors des Petites Dalles comme une plage de sable fin.

Sur une photographie de 1875, année de la venue de Sissi, on voit les importants travaux d'aménagement de ce qui sera plus tard le parking de la plage, l'hôtel des Bains avant son agrandissement, encore quelques longères et les villas déjà construites.

En 1876, Ernest Daudet, journaliste et écrivain, frère aîné d'Alphonse Daudet, fait construire la villa la Renardière.

En 1878, l'entrepreneur Fiquet de Sassetot construit cette curieuse tour carré appelée aussi tour Jules Verne, car ce dernier vient y passer des vacances à la fin de sa vie.

Les années 1880 marquent l'apogée des constructions de villas balnéaires aux Petites-Dalles.

Les Bambous vers 1930

En 1880, la villa les Bambous construite à la demande de M. Bardy, ingénieur, probablement par l'architecte de l'opéra de Paris, Charles Garnier. La même année, M. Vézier fait doubler son hôtel qui devient le Grand Hôtel des Bains.

Le front de mer en 1880,

l'hôtel des Bains vient d'être doublé

Ci-contre, une photographie de la rue des Petites Dalles prise probablement en 1880 ou 1881 d'une des fenêtres des Bambous où l'on voit à gauche la chaumière qui deviendra l'épicerie Dutot. Une autre photographie datant de 1883 montre les premières transformations de cette chaumière et une carte postale beaucoup plus tardive, la maison Dutot à l'apogée de son développement.

 

1880 ou 1881

1883

Ce qu'est devenu la maison Dutot

1881, c'est la construction du chalet Wallon (actuelle villa l'Epine) par l'architecte Paul Wallon pour sa soeur Adèle, future Mme Guibert.

La même année, M. Bardy fait construire, peut-être pour un de ses enfants, la villa les Chrysanthèmes dont l'architecte semble être ici encore Charles Garnier et M. Bayard fait construire par l'architecte Henri Chaine une villa qui deviendra les Sirénuses, puis l'Hermitage.

Les Sirénuses vers 1920

Le chalet Bayard

En 1883, Le Général Colin demande à l'architecte Paul Wallon de lui construire une maison : la villa Colin.

La même année, Jean Bressand, riche négociant parisien fait construire un véritable lotissement dans un but locatif, les villas Saint-Jean. Il est probable que l'investissement s'avère vite peu rentable, car les villas sont assez rapidement vendues et les 5 villas du fond rassemblées pour en faire un hôtel : l'hôtel des Pavillons. Une tentative de réouverture après la dernière guerre est un échec et l'hôtel est vendu par appartement sous le nom de "Christine-Dalles".

Les villas Saint-Jean vers 1930

Les villas Saint-Jean actuellement

En 1883 également, Adolph de Blowitz, célèbre journaliste, correspondant pendant 30 ans du journal anglais Times à Paris, fait construire sa très belle villa les Lampottes, vraisemblablement par l'architecte du palais de la Bénédictine, Camille Albert.

Cette photo a été prise en 1883. Les Lampottes et les villas Saint-Jean sont en voie d'achévement. Par contre les Mouettes et le chalet Peltier ne sont pas encore commencés.

En 1884, l'architecte Paul Wallon construit pour son propre usage la villa les Mouettes.

Monsieur Peltier
L'année suivante, M. Peltier, directeur de la Compagnie générale des Allumettes fait construire par Paul Wallon son chalet qui deviendra plus tard les Catelets. Les décorations en bois à profusion ne résisteront malheureusement pas très longtemps à l'air marin.

Le chalet Peltier

La rue en 1889

Le banc des moules la même année

Les petites Dalles vers 1900

Le casino qui brûla en 1904

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A la fin du XIXe siècle, la plupart des grosses et belles villas des Petites Dalles sont construites. Toutes n'ont malheureusement pas gardé leur lustre d'antan, mais les propriétaires actuels essaient, dans la mesure du possible et de leurs possibilités, de le leur redonner.

Pour terminer, revenons en 1882 où un très ambitieux projet de lotissement de la falaise des Grandes Dalles est élaboré sous le nom du "Parc des Petites Dalles". Des avenues sont tracées, le terme est resté, mais fort heureusement tous les lots n'ont pas été construits. Curieusement, l'emplacement de la chapelle qui ne sera construite que 11 ans plus tard par Camille Albert figure déjà sur ce plan.

 

Pierre Wallon