Décembre 2004

A propos de l'origine des Catelets,

une histoire d'échelle.

ou encore :

«De l'échelle historique à l'échelle préhistorique en passant par l'échelle de Saint-Martin .»

Par Pierre Dion

Les exposés et commentaires fort intéressants sur l'origine des Catelets me font réagir :

1°) Vitesse moyenne de recul de la falaise.

Il me semble que, contrairement à ce que l'on dit souvent, les agents d'érosion des falaises les plus actifs sont continentaux et non marins. En effet ce sont les alternances de gel et de dégel, très fréquentes dans le pays de Caux, qui font craquer les roches et surtout l'eau infiltrée qui provoque des dissolutions et donc des éboulements de craie. Les autres agents comme le mitraillage par l'eau et les galets, le sel, le vent interviennent mais sont moins importants.

Une preuve de cette affirmation existe aux Petites-Dalles, c'est l'effondrement de falaise qui se trouve au fond de la valleuse au début de la côte de Saint Martin, là ou se trouve l'entrée de la grotte. Cet effondrement ne doit évidemment rien à l'érosion maritime.

C'est donc plus le climat, pluie et gel, que la mer qui commande la vitesse de recul des falaises.

Que sait-on exactement du climat des siècles qui nous ont précédés ? Assez peu de choses. Je crois que l'on parle d'un mini âge glaciaire vers Louis XIV, quelques degrés en moins probablement, mais cela a pu suffire pour accélérer ou ralentir les phénomènes dont nous parlons.

Par ailleurs et comme cela a été bien expliqué par l'Association de Géologie de Normandie, la discontinuité des sédimentations et l'hétérogénéité des craies expliquent des réactions différentes aux agressions et, par conséquent, des reculs différenciés le long de la côte.

Tout cela pour dire que l'on peut évidemment parler de vitesse moyenne mais je me demande bien comment on peut la prendre pour bonne à un endroit précis de la côte et surtout à partir de quoi on l'a calculé et sur quelle durée.

Ajoutons pour terminer sur ce sujet que l'on ne sait certainement pas estimer les conséquences de la pollution actuelle. Les eaux de pluie deviennent acides, les fissures s'élargissent et la filtration de l'eau se fait moins bien. Quelles en seront les conséquences sur la vitesse de recul des falaises ?

 

2°) L'ancien rivage il y a quelques millénaires.

Sur ce sujet, par contre, on peut, sans trop de risque de se tromper faire des estimations et imaginer le tracé de l'ancien rivage. Quand je dis ancien, je parle de quelques millénaires, au maximum 10, puisque l'on fixe à 10.000 ans la dernière glaciation et que je suppose dans ce qui suit le niveau de la mer constant.

En effet, comme il est mentionné dans le compte rendu de visite aux Petites-Dalles de l'Association de Géologie de Normandie, la vallée des Petites-Dalles comme toutes celles du Pays de Caux a été creusée par un cours d'eau qui s'est soit asséché ou le plus souvent enfoncé. Je ne sais pas combien de temps il a fallu pour ces creusements. Mais je pense, qu'au départ, toutes les valleuses allaient jusqu'à la mer. Aujourd'hui il existe des vallées particulières dites suspendues qui se sont crées du fait du recul de la falaise. Les deux plus proches des Petites-Dalles sont l'échelle de Saint-Martin située à 3 km à vol d'oiseau suspendue à 21m, la hauteur de l'échelle, et le fond de Villon à 2 km suspendu à 34 m. On imagine bien que l'on peut en partant de la hauteur actuelle de ces valleuses suspendues et en prolongeant leur pente jusqu'à la mer, estimer l'emplacement de l'ancien rivage. A partir des courbes de niveaux des valleuses de l'échelle et du fond de Villon, je suis arrivé à 450 m. Voir le tracé en noir sur la carte jointe. C'est approximatif, car le profil de la pente n'est pas forcément constant, en général il s'adoucit vers l'aval. (Dans le cas de la valleuse des Petites-Dalles par exemple, ce serait beaucoup plus, ma maison située en face du TCD donc au fond du thalweg est à 25 m au dessus de la mer et à 800 m de la plage.)

 

Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
Cela signifie donc qu'à 2 km des Dalles le rivage a été à 450 m au minimum de sa limite actuelle (et peut être beaucoup plus). On peut admettre qu'il en était de même aux Petites-Dalles.

Testons maintenant la sensibilité de nos 450 m de recul possibles à une hypothétique vitesse moyenne d'effondrement des falaises. A 15 cm/an, on fait 15 m par siècle et 150 m par millénaire. Donc pour nos 450 m, il nous faudra 3.000 ans. On est donc à l'âge de bronze. Nous sommes au temps des Calètes bien avant les Romains et les Normands. A 10 cm/an, il nous faudrait 4.500 ans, ce qui nous situe je crois en plein néolithique, et à 5 cm/an, ce qui n'est pas si mal que cela, on arrive à 9.000 ans au mésolithique limite néolithique/paléolithique. Dans ces conditions, il me semble plus raisonnable de passer du temps historique au temps préhistorique quand on parle du recul des falaises.

 

Conclusion (provisoire) :

A l'échelle historique (2.000 ans) et compte tenu de la fragilité des témoignages, on ne peut rien affirmer sur la vitesse de recul des falaises. Il faut se montrer prudent et ne pas surestimer les modifications. Il semble par exemple qu'Etretat qui a depuis longtemps retenu l'attention des hommes n'ait pas bougé depuis des centaines d'années. Dans ces conditions le rattachement à la côte des Catelets il y a 500 ans me semble un peu problématique.

Par contre à l'échelle préhistorique, on peut estimer l'emplacement de l'ancien rivage et il est certain que les Catelets ont fait partie de la valleuse et même qu'ils ont été à l'intérieur des terres peut être même à 300 m du rivage ou plus.

 

En disant tout cela je me sens devenir de plus en plus cauchois, le cauchois qui hésite toujours avant de s'engager, qui pèse le pour et le contre... et qui se tait.

 

Pierre Dion